Récit de bataille

Le champ de bataille c’est le coeur des gens

Épisode 9/9 : « Le champ de bataille c’est  le coeur des gens »

Par Pierre Chopinaud

 

 

(Précédemment…)

Mais rien à faire: aucun mot n’arrivait à lui redonner courage. La peur et la résignation avait repris le dessus : sa peur de maman était le lieu de notre naufrage. Elle refusait d’agir et c’était son droit le plus impérieux. De son point de vue elle n’avait rien à perdre que ce qu’elle estimait perdu déjà comme il avait été pour elle perdu à la naissance : la dignité de son enfant.

Il faut parfois pour un bien plus grand passer par un bien moins grand : voire un petit mal. C’est l’éternelle question du rapport de la fin et des moyens

Le champ de bataille est dans le coeur des gens. Et l’histoire est impure. Il faut parfois pour un bien plus grand passer par un bien moins grand : voire un petit mal. C’est l’éternelle question du rapport de la fin et des moyens. Et pour bien comprendre, pour vaincre la peur dans la coeur de Marina,  le collectif des mamans  a du cette fois y  faire croitre une peur plus grande encore. C’était un dilemme moral. C’est mal de forcer quelqu’un à faire quelque chose qu’elle ne veut pas. Mais abandonner le combat pour  être moralement pur c’était condamné tous les enfants comme la fille de Marina à ne jamais aller à l’école. C’était perdre tout ce que le collectif avait gagné depuis un an, et plus encore c’était faire perdre les enfants ici mais aussi en Guyane, à Mayotte, tous les enfants de France qui vivent en Bidonville. N’était-ce pas un plus grand mal encore ? A quoi servirait notre conscience pure en face des milliers d’enfants qui retomberaient dans le sac à ordure des vies qui ne comptent pas. 

Ce problème est vieux comme le monde, aussi vieux que David et Goliath. Et bien souvent les militants y répondent avec leur tête, avec leur raison, comme le philosophe allemand “des lumières”  Emmanuelle Kant : “agis chaque fois et partout de telle sorte que la maxime de ton action soit vraie universellement”. Si je mens une fois, je fais une loi du mensonge. Aucune fin juste  ne  justifie un moyen injuste. Un moyen mauvais corrompt sa fin. 

dans le champ de l’action ou autour de lui, ceux qui préfèrent garder la conscience absolument pure, du moins suivant l’idée qu’ils s’en font (car les règles de la pureté sont relatives à chacun), sont bien souvent ceux qui n’ont pas nécessairement besoin du changement recherché par l’action

Mais les stratèges de son temps  répondaient à Emmanuel Kant : “toi le philosophe, dans ta chambre, tu as les mains propres, mais c’est parce que tu n’as pas de main” : ce qui veut dire : tu es un homme qui ne connaît pas l’action. Car le champ de l’action n’est pas celui de la rationalité pure et la loi morale ne fonctionne que pour celui qui ne fait rien. Celui-là aura toujours la conscience tranquille. 

 

C’est pourquoi dans le champ de l’action ou autour de lui , ceux qui préfèrent garder la conscience absolument pure, du moins suivant l’idée qu’ils s’en font (car les règles de la pureté sont relatives a chacun), sont bien souvent ceux qui n’ont pas nécessairement besoin du changement recherché par l’action. Ils ont souvent plus besoin de la pureté de leur conscience que de se salir les mains. 

 

Or les membres du collectif des mamans avaient toutes nécessairement besoin du changement qu’elles cherchaient en agissant : car il en allait de la dignité de leurs enfants ; c’est cette vive conscience du besoin de changement qui les avait mise en action et leur avait faite construire du pouvoir, gravir des marches, et remporter des victoires. 

 

Elles n’avaient pas pu convaincre par l’espérance  Marina de poursuivre le combat, elles ne perdraient pas toute la guerre pour autant, elles la convaincraient en la “terrorisant”. C’est l’avocate qui prit la responsabilité de se salir les mains.  La peur l’empêchait d’agir, la peur la forcerait. Maître Anina Ciuciu dit que si elle ne se présentait pas au conseil d’Etat, elle lui facturerait l’ensemble de la procédure depuis le début du combat. Elle aurait une dette immense à son égard et ’elle ne la lâcherait pas. C’était du bluff bien entendu. Marina avait vu Anina prête à se battre contre le Ministre elle n’était pas prête à se battre contre Anina : plutôt affronter son mari.

Marina avait eu peur d’Anina mais maintenant elle était fière et heureuse : elle avait avec les autres gagner non pas seulement contre la dame au guichet, non pas seulement contre  la mairesse, non pas seulement contre le recteur, mais contre le Ministre de l’Education, contre  l’Etat 

 

Le jour J elle était prête,parmi les autres mamans, à entrer dans la salle  du conseil d’Etat. Nous avions déclenché l’offensive. Le nom de la mairesse et de la fille de Marina était partout sur les réseaux sociaux. Il y avait déjà des articles dans la presse. Le gens partout en France,  par milliers signaient la pétition. Les mamans du collectif, habillées comme pour aller à l’église, entraient dans les grandes salles d’or et de pourpre du Palais Royal où se tient la plus haute juridiction de la République Française afin de reconquérir la valeur de la vie de leurs enfants. 

 

Pour esquiver la condamnation, le ministre le jour même appela en personne la mairesse de l’école de la commune pour la forcer à inscrire la petite fille à l’école. C’était une course contre la montre : si elle était inscrite avant que le juge ne se prononce : la République française esquiverait l’humiliation. Imaginez la tête de la mairesse ce matin là devant son téléphone?  Imaginez la tête du juge du tribunal de montreuil qui avait donné raison à la mairesse contre Marina ? Imaginez la tête du recteur qui peut-être lui en avait, d’une façon ou d’une autre donné l’ordre ?

 

“Elles avaient tué le “grand boss”, gagner le jeu. La partie était finie.”

A la sortie du conseil d’Etat les mamans sortirent une grande  banderole, leurs enfants couraient et jouaient entre les célébres colonnes noire et blanche de Buren. L’enfant avait été inscrit, le Ministre n’avait pas été sanctionné, mais nous avions gagné ! Et déjà  nous le racontions, la presse était là : “ un collectif de mères en précarité à gagner contre l’Etat” écrivait le lendemain la journaliste de Mediapart qui depuis le premier jour suivait notre aventure.  La maman de Maria avait eu peur d’Anina mais maintenant elle était fière et heureuse : elle avait avec les autres gagner non pas seulement contre la dame au guichet, non pas seulement contre  la mairesse, non pas seulement contre le recteur, mais contre le Ministre de l’Education, contre  l’Etat. 

 

Elles avaient tué le “grand boss”, gagner le jeu. La partie était finie. 

 

Le recteur, si toutefois, il n’était pour rien dans l’invraisemblable décision du juge avait fait une irrémédiable erreur. En croyant nous écraser il nous avait donné une arme pour frapper plus fort. Notre droit était plus encore enfoncé dans le marbre de la loi. Le ministre avait du frapper du point sur la table et son coup avait du retentir à tous les étages de l’administration. 

 

Quelques semaines après nous apprirent que le recteur avait été démis de ses fonctions. Etait-ce  à cause de notre campagne ? Nous n’en aurons jamais la certitude. Reste que nous, petite conclusion finale. 

 

“Nous avions non seulement affecté la structure mais nous l’avions en profondeur transformée”

 

 

Les jours suivants, à nouveau le téléphone de Lucile s’est remis à sonner dans son bureau Askola. C’était les habituels bureaucrates. Ils appelaient pour faire des menaces et annoncer que l’’administration se réformait. Le service du recteur désormais interviendrait immédiatement lorqu’un maire empêcherait un enfant d’entrer à l’école. Mais en retour il fallait ranger les armes : plus de presse, plus de tribunal. En effet, depuis ce jour, le rectorat intervient systématiquement lorsqu’un refus illégal est signalé et le maire s’exécute. Nous avions non seulement affecté la structure mais nous l’avions en profondeur transformée, du moins localement.

 

Mais les menaces étaient pressantes : les bureaucrates avaient été forcés de réformer leurs pratiques mais de toute évidence ça leur avait coûté et ils n’attendaient qu’une chose c’était de le faire payer. 

 

Quelques semaines plus tard arriva la conclusion de la procédure collective en justice. Celle qui était associée à la grande action de lancement de campagne : “la rentrée des…”  Devant les menaces et intimidations des bureaucrates, notamment de supprimer les fonds publics de Askola (qui en avait terriblement besoin pour son travail quotidien de médiation scolaire) l’équipe des meneuses réunit décida qu’il valait mieux ne pas faire de coup d’éclat. 

 

A l’occasion nous avons appris que le recteur avait été remplacé : était-ce à cause de nous ? Nous le savons pas. Mais nous  nous plaisons à le penser. 

“Nous avons conquis une île mais c’est l’archipel qu’il faudra aborder. le combat pour la justice n’est jamais rassasié. C’est pour ça que depuis des milliers d’années le combat de David contre Goliath est mené et raconté…”.

En fin de compte : le loup avait fini non seulement par se faire taper dessus, mais par quitter le bois.  Et nous avons encore gagné : les maires et le nouveau recteur ont été à nouveau condamnés. Nous ne l’avons pas crié sur les toits. l’Association Askola avait été mise financièrement en danger. Et le grand changement, de façon inattendu, nous l’avions accompli avant ce grand final. Nous avions gagné ? Pas tout à fait.

 

 Car nous savons que si le gens de pouvoir grâce à nous ont changé leur pratique, ils ne le font que lorsque les services du rectorat sont saisis contre un maire par un parent qui connaît la procédure. Qu’en est il des centaines, des milliers de parents qui vivent en bidonville, en squats, à la rue et qui arrivent seuls au guichet ? C’est sans doute pour s’autoriser à mépriser encore la vie de leurs enfants que les  bureaucrates en cédant au collectif des mamans se sont souciés de menacer l’équipe de Askola. 

 

Nous avons conquis une île mais c’est l’archipel qu’il faudra aborder. le combat pour la justice n’est jamais rassasié. C’est pour ça que depuis des milliers d’années le combat de David contre Goliath est mené et raconté….

 

A suivre…

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