Récit de bataille

Le champ de bataille c’est le coeur des gens

Épisode 8/9 : « Tout perdre ou bien tout gagner! »

Par Pierre Chopinaud

 

 

(Précédemment…)

C’était non seulement la première défaite mais c’était peut-être la fin de la guerre ! Le collectif des mamans avait été frappé par surprise et mis à terre. Marina dans le coeur de qui les autres mamans avaient allumé la foi leur en voulait : elle l’avait illusionnée. Et les autres commencèrent à douter de leur pouvoir. Car si le juge avait cette fois donné raison au maire pour quelle raison cette décision n’allait il pas la répeter ? C’était sans doute l’effet des pressions qui du côté des gens de pouvoir arrivait. C’était l’effet obscur de la structure qui contre-attaque. Le collectif des mamans était sonné.

“cette certitude, un organizer doit la communiquer aux leaders qu’il entraîne qui eux-mêmes doivent la communiquer aux gens qu’ils vont engager dans l’action. Mais cette certitude est toujours simulée : car l’incertitude en politique est la seule vérité

Alisa, Mirela, Lucile, Emmanuelle avaient un genou à terre. Non seulement l’adversaire avait porté un coup imprévisible mais son coup était puissant. Alors, en tant qu’organizer mon rôle fut, en urgence de les rassembler  : comme un entraîneur va s’asseoir à côté du boxeur dans le coin du ring après qu’il a été sonné. 

Il fallait comprendre ce qu’il s’était passé, mesurer les dégâts, souffler,  retrouver courage et espoir, et adapter la stratégie, décider par quelle tactique le collectif des mamans, allait non seulement se relever, mais repartir au combat. 

 L’avocate du collectif, Anina, était à leurs côtés. Perplexe, et également sonnée.  La décision du juge, par quel  bout qu’on la prenne, était anormale : pourquoi avait-il donné raison à la “méchante” mairesse contre Marina, la maman qui défendait le droit de son enfant d’aller à l’école. 

La décision était contraire à la morale, bien sûr, au bon sens, mais surtout contraire à la loi. 

Je les aidai à analyser. Soit le juge avait décidé sous la pression de gens de pouvoir – est ce que c’était notre grand méchant loup -le recteur- qui dans l’obscurité du bois s’était manifesté pour nous frapper ?- soit il avait fait une grave faute de droit. Nous ne le saurons jamais avec certitude. Nul ne voit jamais clair dans les visages du pouvoir. 

Et l’incertitude est ce qui caractérise le contexte de toute action politique, c’est la nature même de ce qui se passe dans un champ de bataille que d’être incertain. Un stratège, (tout bon leader est un stratège, et c’est le rôle de l’organizer que de l’y entraîner) il fait son plan juché en haut de sa montagne en regardant le champ de bataille et avant que la bataille ait commencé. Le plan le moins imparfait réduit dans le champ de son déroulement la part du hasard, de l’incertitude : “Si tout se déroule comme prévu, on va gagner” Avant d’engager les gens dans le combat il faut être au plus près de cette certitude. Car cette certitude, un organizer doit la communiquer aux leaders qu’il entraîne qui eux-mêmes doivent la communiquer aux gens qu’ils vont engager dans l’action. Mais cette certitude est toujours simulée : car l’incertitude en politique est la seule vérité. Toutefois, en ce qui me concerne, je n’engage pas des gens des une action si le plan élaboré ne m’assure pas que j’ai 80  % de chance de remporter la victoire. 20 % c’est la place que j’accorde au hasard. 

Le génie stratégique consiste à composer dans l’instant avec le hasard qui surgit : le hasard est la matière de la stratégie, et il y a là quelque chose qui est de l’ordre du mystère ou de l’intuition

Car le hasard c’est le chaos, le chaos est l’ennemi de l’organisation….Mais le hasard, ce peut être aussi l’opportunité. 

Aussi proche de la perfection que soit le plan élaboré, la stratégie, dés  que les membres de l’organisation mettent en oeuvre les tactiques pensées, dés qu’ils s’engagent par les actions dans le champ de bataille, le hasard surgit de tous les côtés. Aussi réduite a été la place qui lui a été dans le plan accordé. 

Le génie stratégique consiste à composer dans l’instant avec le hasard qui surgit : le hasard est la matière de la stratégie, et il y a là quelque chose qui est de l’ordre du mystère ou de l’intuition. 

C’est pour cela que nombreux grands stratèges dans l’histoire attribuaient leur décision aux présages ou à l’inspiration… Mais c’est aussi un autre sujet. C’est par là que l’acte de décision stratégique ressemble à l’acte de création en art….

Quoi qu’il en soit, Anina eût une idée. Et c’est cette idée qui nous a sauvés. 

Le hasard surgit dans le champ de  bataille sous l’aspect d’une contrainte ou d’une opportunité. Elle eût l’idée de transformer la contrainte, ou le malheur, en chance, en opportunité. 

Le collectif des mamans n’allait pas seulement contester la décision du juge, mais il allait porter le litige devant la plus haute instance juridictionnel : devant le conseil d’Etat  ! 

C’est un peu comme si dans un jeu d’argent après avoir perdu 99% de son trésor, un joueur surenchissait par-dessus l’adversaire par une somme démesurée. C’était un grand bluff. Nous pouvions tout perdre ou bien tout gagner. 

Le risque était grand, il était à la mesure de la mise, et à la mesure de la chance. Nous entrions dans une danse entre le hasard et la certitude

Le risque était grand, il était à la mesure de la mise, et à la mesure de la chance. Nous entrions dans une danse entre le hasard et la certitude. La décision du conseil d’Etat pourrait si elle donnait raison aux méchants de sa décision, la nouvelle loi, la nouvelle règle.  Nous perdrions alors non seulement la bataille pour l’enfant de Marina, mais ce serait la fin tragique de notre histoire : l’injustice l’emporterait, les méchants gagneraient, et la vie des enfants pour qui nous ne battions seraient jetées parmi les ordures à quoi les gens de pouvoir dans le département les vouaient. 

Plus grave encore : nous prenions le risque d’anéantir  le décret gagné il y avait longtemps par le collectif #EcolePourTous et qui était le levier sur quoi nous avions appuyé toute notre campagne. 

Autant dire qu’aller au conseil d’Etat c’était prendre le risque que tout s’effondre. Non seulement perdre notre guerre, mais perdre rétroactivement les guerres de ceux qui nous ont précédés. 

Mais c’était aussi notre chance : nous sentions que nous arrivions à la fin de notre histoire : par accident tout se précipitait. Le drame allait se dénouer.  C’était un face à face terminal dans quoi le collectif des mamans allait s’engager. Il avait  tout à gagner et tout à perdre : aucun calcul ne pouvait nous garantir  la victoire. Alors chacune dans le petit groupe de meneuse, Anina, en premier, surmonta le doute qui l’angoissait, et Mirela et Alisa annoncèrent aux membres du collectif comment elles allaient se rélever. 

Et à vrai dire, en bonnes meneuses, elles dissimulèrent d’abord qu’elles avaient été à terre. Car le courage et l’espérance sont les deux substances qui dans les coeurs de celles qui combattent font gagner la guerre. 

 

Toute cette campagne était un jeu depuis le début, mais un jeu dont la fin peut avoir des conséquences dramatiques sur la réalité

Il fallait mettre toutes les forces du collectif des mamans dans ce dernier acte et pour mobiliser les forces il faut donner courage : Ce qui supposait faire un peu de théâtre. Toute cette campagne était un jeu depuis le début, mais un jeu dont la fin peut avoir des conséquences dramatiques sur la réalité. 

En sortant du bois sans se montrer, le recteur avait commis une faute fatale. Il avait tenté de nous piéger mais son piège, le collectif des mamans  allait  le retourner. Car le dernier acte de cette  histoire, de notre David contre Goliath, c’était maintenant l’histoire de la petite fille innocente Maria, contre le Ministre. On allait engager la responsabilité de ce dernier et le raconter.On dit que le leadership c’est convaincre les autres de passer à l’action en dépit de l’incertitude. C’est pour ça qu’un des plus grands défi de l’action pour la justice, le plus décisif des combats, le lieu de la grande bataille il est dans le coeur des gens. L’acte qui fait la différence c’est celui qui change dans le le coeur des offensés la peur  en courage. 

Mais hélas rien n’est pur dans ce monde. Avant de partir livrer cette dernière bataille, la plus grande, celle dont nous percevions qu’elle était le  grand final -dont les femmes du collectif sortiraient vainqueurs ou plus humilées encore-  elles avaient rassemblé toutes leurs meilleures armes. Et parmi ces armes une était  redoutable. 

Quelques semaines auparavant, dans le cadre d’une autre campagne que j’organisais en lien avec les problématiques rencontrées par des Mineurs non Accompagnées nous avions fait du député européen Raphaël Glucksman un allié. Et ce dernier possédait une arme qui serait utile au dernier acte de l’histoire du collectif des mamans. Son compte Instagram. 

Nous allions l’utiliser. Mais avant cela il fallait l’intéresser à la cause. Après un rendez-vous organisé et préparé, ce fut chose faite. Il serait de la bataille. 

La tactique (l’action) était la suivante  :  le jour de l’audience au conseil d’Etat, le collectif des mamans lancerait une pétition qui serait diffusée sur le compte instagram du député et animée par son équipe. l’Histoire injuste de Marina et son enfant humiliée par la méchante mairesse d’une commune de la Seine-Saint-Denis allait atteindre ce jour même une audience imprévue. Et comme l’affaire serait portée devant le Conseil d’Etat ce ne serait pas seulement la responsabilité de la mairesse qui allait être engagée mais celle du gouvernement français en la personne du Ministre de l’Education. En l’occurrence ici : Pap Ndiaye. C’est lui qui serait la cible de la mise en accusation publique, de la honte. C’est lui qui non seulement deviendrait le méchant de l’histoire mais qui serait aussi en cas de victoire  personne jugée fautive, responsable de cette infâmie. 

aucun mot n’arrivait à lui redonner courage. La peur et la résignation avait repris le dessus : sa peur de maman était le lieu de notre naufrage. Elle refusait d’agir et c’était son droit le plus impérieux.

 

Tout était prêt. Mais rien n’était possible sans que Marina entre en action. La cible était claire, l’arme chargée, il ne manquait que sa décision. Rien n’était possible si elle ne se constituait pas plaignante. Toute l’issue de la guerre dépendait de son hésitation  entre la peur et le courage. le site décisif du champ de  bataille était le secret de son coeur

 

Or, découragée par la défaite inattendue : à nouveau, elle disait “Non !”. Elle avait accordé une fois sa confiance car Alisa et Mirela lui avaient donné espoir. Mais elle avait perdu. . Elle ne croyait plus en le pouvoir du collectif des mamans . C’était dans son consentement que résidait le fin mot de l’histoire. C’est moins dans la décision du juge que dans son coeur que se déciderait la victoire. 

 

Mais rien à faire: aucun mot n’arrivait à lui redonner courage. La peur et la résignation avait repris le dessus : sa peur de maman était le lieu de notre naufrage. Elle refusait d’agir et c’était son droit le plus impérieux. De son point de vue elle n’avait rien à perdre que ce qu’elle estimait perdu déjà comme il avait été pour elle perdu à la naissance : la dignité de son enfant. 

(La suite dans le prochain épisode….)

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