Récit de bataille

Le champ de bataille c’est le coeur des gens

Épisode 5/9 : « Que le spectacle commence ! »

Par Pierre Chopinaud

 

 

(Précédemment…)

La dernière fois, un de ces importants personnages, devant l’intransigeance des meneuses du collectif des mamans qui exigeaient l’inscription immédiate d’une enfant à l’école, est sorti de la salle en pleurant d’impuissance :  “comment vous pouvez nous faire ça ? Comment vous pouvez faire ça à Monsieur le maire qui est quelqu’un de si bon ?” Le “ça” en question c’était simplement le pouvoir de faire respecter le droit à l’école d’un enfant rom et imposer que sa vie a la même valeur que la vie des enfants de l’importante dame qui pleure. La peur avait changé de camp. 

“ la fondation : c’est tout ce travail souterrain et invisible qui est le préalable au développement d’une  organisation politique radicale.”

C’était maintenant le début du printemps, il y avait six mois que Alisa, Mirela, Lucile et Emmanuelle  avaient semé les premières graines de l’aventure du collectif des mamans et déjà les premières fleurs sous le soleil s’étaient ouvertes, les premières petites victoires, les premières joies, les premiers sourires revenus sur le visage des enfants et de leurs mamans. Mais ce qui avait eu lieu durant ces six mois était resté dans l’ombre. Les douze mamans qui formaient le collectif avaient été transformées en femmes d’action par la parole de deux d’entres elles, Alisa et Mirela, qui avaient assumé le rôle de meneuse, c’est-à-dire la responsabilité de rendre les autres capables de s’engager à la poursuite d’un objectif commun.

Par le verbe, elles avaient dans le coeur de ces femmes remplacé la peur par le courage. Chacune était devenue une soldate, une militante déterminée à se battre en raison de la valeur qu’elle accorde à la vie de ses enfants. Avec Alisa et Mirela, Lucile et Emmanuelle formaient l’équipe meneuse : la locomotive qui entraînait chaque wagon du collectif dans l’action, en  lui donnant son sens : c’est-à-dire à la fois sa direction stratégique, et sa signification (son motif et sa justification). L’équipe meneuse avait donc conçu le plan de bataille, la voie par laquelle elles allaient toutes ensemble passer  pour atteindre leur destination.. Elles avaient donc conçu le grand mouvement du drame qu’elles allaient jouer, elles avaient campé les personnages, les petites bergères assoiffées de justice qu’elles étaient, comme David, et le méchant Goliath, le recteur d’Académie, elles avaient même déjà obtenues des petites victoires, comme pour aiguiser leurs armes, mais tout cela était encore resté secret : le film dont elles étaient les héroïnes n’avait aux yeux du grand public pas encore commencé.  

Durant ces six mois, ce à quoi l’équipe meneuse avait oeuvré avec succès c’est à ce que l’on appelle dans l’organisation politique radicale la fondation : c’est tout ce travail souterrain et invisible qui engage tant la tête (concevoir la stratégie, le plan de bataille) que le coeur (recruter, unir, encourager) ainsi que la main (entraîner, forger ses armes) qui est le préalable indispensable au déclenchement d’une campagne stratégique au cours de laquelle va se développer et grandir une organisation de pouvoir. C’est le temps de la grossesse, si je puis dire, de la maturation in utero, sans quoi au grand jour ne sortirait qu’un avorton sans puissance, un feu de paille, ou un coup d’épée dans l’eau. 

Désormais il était temps d’entrer en scène, dans la lumière, de lever le rideau. 

“Roxana vit le portrait du maire, elle rougit de son audace, et avec un mélange de honte et de fierté, elle demanda à son avocate “c’est vraiment contre lui qu’on a gagné ?  David avait vaincu Goliath.”

Mais avant cela permettez moi de revenir  une dernière fois sur moment de lumière émotionnelle  qui a ébloui durant ces six mois  notre travail de fondation car si je ne le fais pas maintenant il restera à jamais dans l’ombre. C’est un moment simple : mais la pure joie qui s’y exprime est précisément la manifestation du sens dont je vous parlais plus haut, qui indique à la fois la direction et le motif, mais aussi et surtout qui donne, en dépit du contexte d’incertitude qui caractérise toute action politique, la confiance, proche de la certitude, c’est–à-dire la foi, que la victoire est au bout.  

Lors de la dernière phase de la fondation, la collectif des mamans avait déclenché une première tactique qui avait consisté en une campagne de testing dont le but était de constituer les preuves qui allaient servir lors de la première grande action publique de lancement que je vais bientôt vous raconter. Et un des résultats  de cette première tactique fut le renaissance du courage et la fierté, de la dignité sur le visage d’une des mamans militantes en particulier : qui s’appelle Roxana. Précisément au moment où elle entrait dans une mairie communiste de Seine-Saint-Denis  au côté de son avocate, maître Anina Ciuciu. Durant neuf  neuf mois Roxana avait été empêché l d’inscrire sa petite fille de cinq ans à l’école de la ville  par l’administration. Tous les services s’étaient coalisés pour la piéger, depuis l’employée du guichet jusqu’à l’élu en charge de l’école. Elle avait tout essayé. Rien n’avait marché : neuf mois durant, elle était désespérée. Elle n’avait pas eu le pouvoir simple d’inscrire sa petit fille de cinq ans à l’école. Elle était humiliée. Toute la bureaucratie municipale l’en avait empêchée parce qu’elle et sa fille habitait dans un bidonville que le maire et son équipe avait décidé, par toute la force de leur pouvoir, de faire disparaître. Mais ce jour-là, neuf mois après : Roxana entrait dans la mairie comme si elle en était propriétaire, elle était même gênée que les employés lui ouvre les portes les unes après les autres avec tant d’obséquiosité, jusqu’à la porte de l’élu à l’éducation qui l’avait durant neuf mois humiliée. La consigne avait été donnée par le maire lui-même de recevoir Roxana avec le plus grand respect et de lui remettre le papier qu’elle était venue chercher : l’inscription à l’école de sa fille. Le juge l’avait ordonné. Le maire avait été condamné à payer et afin d’ éviter la campagne de honte publique que le collectif des mamans faisait peser sur sa tête comme une épée de Damoclés il s’était décidé d’éxécuter prestement ce que Roxana éxigeait. En effet quelle mauvaise publicité pour une personnalité d’extrême-gauche antiraciste d’être montré en flagrant délit de discrimination raciale. Lorsque Roxana, dans le bureau de l’élu vit le cadre accroché au mur d’un portrait du mairie, elle rougit de son audace, et avec un mélange de honte et de fierté, elle demanda à son avocate : “c’est vraiment contre lui qu’on a gagné ? David avait vaincu Goliath. 

“Cette première scène avait tout d’une exposition : il s’agissait pour le collectif des mamans d’exposer le drame qu’elles allaient jouer durant un an, ses personnages, les héroïnes, le méchant, et donner une idée de l’issue désirable”

Mais revenons maintenant à notre levée de rideau :  le temps de la fondation était achevé : l’organisation était enracinée profondément dans le coeur, la tête et les mains des femmes qui la constituaient. Il était tant maintenant que le spectacle commence !

Cette première scène avait tout d’une exposition : il s’agissait pour le collectif des mamans d’exposer le drame qu’elles allaient jouer durant un an, ses personnages, les héroïnes, le méchant, et donner une idée de l’issue désirable. Le drame c’était que Alisa, Mirela, Ana Maria, Roxana et les autres rencontraient une injustice effroyable au moment d’inscrire comme toute maman leur petite fille ou leur petit garçon à l’école, elles rencontraient un refus discriminatoire parce qu’elles habitaient dans un bidonville, et qu’elles étaient perçues comme des femmes roms. Les personnages, les héroïnes, c’était elles : c’était à elles que lors de la grande première les spectateurs seraient conduits  à s’identifier par l’émotion. Le méchant, l’infâme coupable de cette faute ignoble, le méchant, le détestable, le puissant, serait le recteur de l’Académie, et dans cette histoire, au second plan, il aurait des lieutenants, tout aussi haïssables : les maires du département. L’issue souhaitable serait que les héroïnes de l’histoire par le courage et leur engagement dans l’action, scène après scène, rendent le prix de leur faute si méchant au puissant, tant financièrement que politiquement qu’il serait forcé, pour ne plus avoir à payer, de mettre fin à la discrimination : car ceci était en son pouvoir, et ne dépendait que de sa décision. Mais comme dans toutes les bonnes histoires, on ne peut jamais être certain de l’issue dés le commencement. 

Alisa et Mirela, les deux mamans meneuses ont alors réuni plusieurs fois l’ensemble des membres du collectif pour imaginer ensemble cette première scène : ça serait quoi cette première  grande action publique de lancement ? Elles savaient déjà qu’elles mettraient en scène et dramatiseraient la plainte que certaines de mamans allaient ce jour-là déposer collectivement  contre le recteur et les maires du département. Le problème c’était qu’au XXIème siècle, pour saisir la justice, il suffisait à l’avocate d’envoyer un papier par courriel. Rien de très palpitant. Il fallait donc rendre l’acte spectaculaire. Elles décidèrent qu’elles adresseraient une lettre au recteur pour lui demander un rendez-vous et cette lettre, elles la placèrent au milieu d’un grand cadre qu’elles pourraient montrer. Elles décidèrent que  l’action  aurait lieu le jour suivant la rentrée des classes devant le tribunal : elles instaleraient une salle de classe pour leurs enfants qui étaient empêchées par les méchant d’aller à l’école : quelle saillant contraste, pendant que toute la France regarde à la télé comme chaque année ses enfants faire leur rentrée des classes, un groupe de mamans dirait “tous les enfants ? Non… pas les nôtres…”

Puis elles imaginèrent des slogans qu’elles accrocheraient sur les petits cartables de leurs enfants qui iraient faire la classe devant le tribunal, elles préparèrent une grande banderole où serait inscrit le nom de leur groupe : “collectif des mamans, l’école pour nos enfants” et donnèrent un nom à leur action : “la classe des réfusés de l’école”. 

Durant cette phase d’imagination de la mise en scène,  Emmanuelle et Lucile préparaient les cafés et prenaient des notes, les autres salariés de l’équipe d’Askola qui étaient des hommes, s’étaient proposés de participer au fleurissement de ce collectif dont ils étaient fiers des victoires puisqu’elles facilitaient aussi leur travail quotidien de médiateurs sociaux : ils trouvèrent leur place d’alliés lors de cette action en proposant de  s’occuper le jour J des enfants pendant que les membres du collectif concevaient la suite de leur plan. 

 

“L’art de l’organisation politique radical ressemble beaucoup  au travail d’un metteur en scène  : il s’agit de dramatiser, d’écrire des dialogues, de disposer des acteurs, et de trouver ceux qui fabriqueront les images ”

Voilà, la mise en scène était prête… Mais pour que le spectacle commence il manquait encore la lumière, les feux de la rampe : il manquait la presse, et si je puis dire, les dialogues. Pour que le public s’émeuve du drame, et s’associe par empathie aux héroïnes qu’allait devenir les mamans-militantes il fallait que les caméras tournent. L’art de l’organisateur politique radical ressemble beaucoup aussi au travail d’un metteur en scène ou d’un réalisateur : il s’agit de dramatiser, d’écrire des dialogues, de disposer des acteurs, et de trouver ceux qui fabriqueront les images tout en s’assurant que ces images racontent bien le drame qu’il a conçu collectivement avec les héroïnes de l’histoire qui ont intérêt, pour leur vie réelle, à ce que la fin de l’histoire soit bien la victoire de David contre Goliath, car il en dépend de la vie des gens.  

D’ores et déjà au cours de la fondation, nous avions emmené dans l’embarcation, après l’avoir ralliée, Faiza Zerouala, de Mediapart. Elle serait non seulement présente le jour de l’action mais elle avait déjà accompagné incognito, lors de la fondation, dans l’ombre, certaines des mamans lors de leurs combats en duel au guichet des mairies pour être témoin directe de la discrimination. Puis suivant un angle que nous avons pensé collectif et qui reprenait le drame général de l’histoire : des mamans veulent faire payer aux puissants maires et recteurs le prix de la dignité de leurs enfants -Lucile rédigea et diffusa (avec l’aide d’une alliée, Fatima Hammouch de Next Level)  un communiqué de presse, puis le lança comme le fil d’une canne à pêche dans l’étang. Et des journalistes  ont mordu à l’hameçon. Il s’agissait chaque fois, pour Lucile, lorsque l’un d’entre eux manifestait de l’intérêt de s’assurer qu’il serait fidèle à l’angle que nous avions imaginé, qu’il était sincèrement sensible et respectueux du combat mené, et qu’à la fin il ne raconterait pas une histoire que nous ne souhaitions pas raconter. 

Puis il s’ est agi pour les mamans du collectif de désigner leur porte-parole, celles qui seraient les actrices principales. Il y eut Mirela, Alisa et Alina ainsi que parmi les avocats, Anina Ciuciu. Il s’ est agit alors de concevoir avec chacune d’entre elles le texte qu’elles diraient lors de l’action.  Puis deux semaines avant le jour J commencèrent les répétitions dirigées par Lucile et Emmanuelle : chaque actrice répéta comme si c’était le jour de son premiere grand rôle. 

 

 “Le méchant de l’histoire devait aussi, à cette occasion, faire  sa grande entrée sur scène. Il s’agissait en effet de le faire sortir du bois comme un loup. C’était un des buts de l’opération. Nous devions le pousser dans la lumière parce que toute bonne histoire a besoin qu’on voit la queue  d’un  loup. “

Et le lendemain de la rentrée, elles étaient  devant le tribunal. Comme il fallait qu’il y ait du monde : elles sont venues, suivant mon conseil, avec leur maris, les enfants, les frères, ls soeurs, les amies, et les belle-mères. C’était le carnaval, il y avait les enfants, avec des cartables sur lesquels étaient accrochés les slogans, la banderole où leurs mères avaient écrit : “l’école pour nos enfants”. Devant les caméras, Anina, Mirela, Alisa, Alina ont raconté leur histoire, l’histoire de leurs enfants, l’injustice qui leur était faite et celui qu’elle tenait pour le responsable : le grand méchant recteur ainsi que ses lieutenants :  les maires du département. Le méchant de l’histoire devait aussi, à cette occasion faire  sa grande entrée sur scène. Il s’agissait en effet de le faire sortir du bois comme un loup. C’était un des buts de l’opération. Nous devions le pousser dans la lumière parce que toute bonne histoire a besoin qu’on voit le visage d’un méchant.  C’est pour ça que devant les caméras Mirela tendit une lettre encadrée adressée à son nom en l’appelant publiquement à leur accorder un rendez-vous. 

Le soir et le lendemain, la France avait entendu parler de ces mères-courage  et s’était ému de leur histoire. Faiza Zerouala publia son reportage dans médiapart   Il y eut un  sujet à un heure de grande écoute dans l’émission  C à vous,  un autre reportage dans Kombini,  un article dans 20 minutes et d’autres encore… 

“A la fin de l’action, de la campagne, qu’elle soit victorieuse ou non, le héros rentre dans l’ombre car la lumière n’est plus d’aucune utilité à la cause, et que comme un acteur, il rentre dans le réel, après la fin du jeu.”

Il faut savoir que faire parler de soi, attirer la lumière sur soi  n’est jamais une fin en soi dans l’organisation  politique radicale, c’est un moyen, une tactique ou un stratagème parmi d’autres. C’est un jeu.

D’ailleurs en toute rigueur le mot  “média”  signifie “moyen”. Un grand nombre de causes naufragent,  parce que leur héros confond le média avec la fin, et la cause avec le moyen d’y parvenir. Dans une bonne organisation politique radicale, c’est-à-dire une organisation qui construir du pouvoir et au moyen de ce pouvoir change réellement le monde,  à la fin de l’action, de la campagne, qu’elle soit victorieuse ou non, le héros rentre dans l’ombre car la lumière n’est plus d’aucune utilité à la cause, et que comme un acteur, il rentre dans le réel, après la fin du jeu. D’ailleurs, il  n’y pas de meilleur indice qu’une cause est perdu que de voir son porte-parole ne plus quitter les feux de la rampe. 

Après la joie d’avoir accompli toutes  ensemble un coup d’éclat, une grande action,  où chacune avait su jouer au mieux sa partition, où chacune avait donner le meilleur d’elle-même, surmonter sa peur, pour  toutes les autres ; après avoir reçu nombreux messaged de soutien, d’encouragement et de félicitations de toute la France, il  fallut aux membres du collectif, au bout de quelques jours, quelques semaines, se rendre compte que sur un point au moins elles avaient échoué : elles n’avaient pas vu sortir du bois le loup. La presse avait à peine mentionné son nom. Il avait manqué au début du film un personnage, et pas n’importe lequel : le méchant.

C’est indirectement et sans se montrer qu’il a réagi quelques semaines après  à la grande action de lancement public du collectif des mamans, habilement, et pas du tout de la façon dont nous l’attendions….

(La suite dans le prochain épisode….)

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