Récit de bataille
Le champs de bataille c’est le coeur des gens
Épisode 1/9 : « les vies qu’on ne pleure pas. »
Par Pierre Chopinaud
L’association Askola aide les parents qui vivent en bidonvilles et en squats dans le 93 à inscrire leurs enfants l’école. Elle faisait face à des blocages insurmontables de la part des maires des communes. Les lois, la morale, le recteur, les associations, rien n’y faisait. Car ce n’était pas q’un’une question d’accès droit mais la conséquence d’une situation d’oppresion, c’est-à-dire d’ une relation de pouvoir.
En france, en 2025, il y a des bidonvilles, et il y a des gens qui ont le malheur d’habiter dedans. Un préjugé largement partagé, parmi les militants et les travailleurs sociaux, veut que les gens qui habitent dedans soient résignés, apathiques, incapables de défendre leur dignité.
L’organisation Askola pratique la médiation scolaire en Seine-Saint-Denis. Mirela, Lucile, Emmanuelle, Alisa et les autres vont dans les bidonvilles pour aider les parents à inscrire leurs enfants à l’école et les aider à s’y sentir bien.
Quel papa, quelle maman n’a pas eu le coeur déchiré devant la souffrance de son enfant qu’il vient d’abandonner pour la première fois, lors de la rentrée des classes, au milieu de vingt-cinq petits inconnus et des adultes dont il ne sait rien ? Alors imaginez que le matin vous l’avez réveillé dans une cabane de bois, sans eau, après avoir passé la nuit à le protéger des rats, que vous ne possédez pas la langue et rien des usages communs et que le soir c’est la police que vous retrouvez avec lui à la maison qui vous ordonne de partir au loin ?
« Le chemin de l’école, pour les parents et les enfants qui habitent dans un bidonville, est ardu et périlleux. »
Le chemin de l’école, pour les parents et les enfants qui habitent dans un bidonville, est ardu et périlleux. C’est pour ça que Mirela, Lucile, Emmanuelle, Alisa et les autres sont là : ce sont un peu les sherpas qui aident ces parents et leurs enfants à gravir la montagne qu’est leur chemin de l’école.
Mais s’il n’y avait que la montagne à grimper ? Le monde serait encore trop beau ! C’est sans compter sur les gens de pouvoir qui depuis le sommet font tomber sur vous des rochers pour vous rendre l’effort encore plus difficile. Et parmi ces gens, là haut sur la montagne, il y a le maire de la ville.
Nombreux maires de Seine-Saint-Denis empêchent les enfants des squats et des bidonvilles d’accéder aux écoles de leur ville. Pourquoi ? Parce qu’ils veulent que ces bidonvilles disparaissent ; et accueillir ces enfants dans les écoles, dans la communauté scolaire, comme la loi et les principes de la république les y obligent, c’est reconnaître qu’ils existent, qu’ils ont une dignité, des droits, comme tous les autres.
Dés lors que vous connaissez les enfants qui habitent dedans, c’est plus difficile de détruire leur maison. Vous savez que vous ne détruisez pas que du bois et du carton mais aussi les vies qu’il y a dedans. Malgré tout le cynisme possible ça peut faire mal au coeur et à la conscience. Surtout quand vous êtes socialiste, communiste, insoumis, catholique, musulman, “antiraciste” …Ca peu faire honte.
« Refuser l’enfant à l’école c’est le rendre invisible, lui et sa famille, c’est les jeter dans le sac à ordure des vies qui ne comptent pas, des morts qu’on ne pleure pas. »
Refuser l’enfant à l’école c’est le rendre invisible, lui et sa famille, c’est les jeter dans le sac à ordure des vies qui ne comptent pas, des morts qu’on ne pleure pas. C’est se mettre, en tant qu’élu au service du constructeur qui veut gagner de l’argent en construisant en grand bâtiment à la place des petites cabanes des gens, un entrepôt amazone, une usine de ciment, c’est se mettre surtout de la façon la plus cynique au service du racisme intense de ceux qui ont un peu plus que rien, dont les parents où les grands parents arrivés de Bretagne, d’Algérie, du Portugal, du Mali, ont vécu dans leur temps dans ces mêmes bidonvilles, afin de flatter leurs sentiments les plus bas, et gagner les élections.
Et croyez moi, il n’y pas de petit profit en politique : quelle que soit la couleur de la peau ou du maillot, quand le but c’est de garder son poste de pouvoir : tous les moyens sont bons : même le racisme.
Et quand c’est le pouvoir qui est en jeu, les principes, les valeurs, les lois, restent, en règle générale sur la touche.
« le sentiment d’impuissance et l’indignation avait avalé jusqu’à leur rage et leur colère »
Mirela, Emmanuelle, Lucile, Alisa et les autres étaient au bout du rouleau : le sentiment d’impuissance et l’indignation avait avalé jusqu’à leur rage et la colère : comment peut-on vivre dans un monde aussi immoral ? Rien n’y faisait : les courriers, les interpellations, les recours devant l’administration… N’est-on pas pourtant dans le pays des droits de l’homme ? Comment un maire qui a la réputation d’être un militant antiraciste peut il ainsi mépriser la vie de ces enfants ? Ce monde est sans foi ni loi…
Un des préceptes fondamentaux de l’organisation politique radicale est vieux comme la nuit des temps. Il dit : il n’y pas de justice sans pouvoir. Jésus Christ n’aurait fait trembler aucun César s’il n’était pas venu avec le “glaive” de Dieu.
Lorsque l’équipe d’Askola nous a parlé de la situation d’injustice qui accablait les parents et les enfants qu’ils accompagnaient sur le chemin de l’école, nous avons dit : laissez tomber la morale, laissez tomber les règles de l’administration : on va essayer de forger ensemble “le glaive”, c’est à dire la force et le pouvoir dont nous avons besoin pour rendre leur dignité à ces enfants…
(La suite dans le prochain épisode….)